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"Bastien Bastienne", une aventure mozartienne

La passion de la musique ne se commande pas. Elle ne se réduit pas non plus à chanter, à jouer d’un instrument, ni à composer, ni même à créer une école de musique par ci, une maison d’édition par là. La musique est un art et l’art a vocation à être partagé.

Peu après avoir convaincu les autorités locales de Perros-Guirec de la nécessité de construire une école de musique, Mariannig Larc'hantec est contactée par le directeur de l’ADDM 22 (association départementale pour le développement de la musique).

La ville de St Brieuc a programmé dans sa saison musicale, « Bastien et Bastienne », un opéra de W.A. Mozart. C’est une grande première dans cette ville. Même subventionné par le département, le budget de l’opération est lourd, le risque est important. Il faut donc que la publicité soit à la hauteur de l’enjeu. Nous sommes en 1980, les réseaux sociaux n’existent pas, Internet ne fait pas partie de l’arsenal de diffusion des informations. Reste l’affichage, la radio et la télévision. Amener à l’opéra une population déjà très peu familiarisée avec le concert de musique classique est un défi sans précédent. Comme l’investissement financier est départemental, le public visé est celui du département tout entier.

Le directeur de l’ADDM confie à Mariannig Larc'hantec la mission d’amener au concert au moins cinquante habitants de Perros-Guirec, c'est à dire de remplir un car que son organisme s’engage à financer ; il faut préciser que Perros-Guirec est à soixante-dix km de St Brieuc. L’évènement est programmé au printemps. Nous sommes en période de rentrée scolaire. Il reste donc environ six mois pour convaincre cinquante personnes de faire soixante-dix km pour écouter une œuvre lyrique. Ni Mozart ni l’opéra n’entrent dans les choix musicaux d’une population qui, à cette époque, se situent entre les refrains véhiculés par les médias et la revendication identitaire relayée par la musique bretonne. Le pari semble intenable.

Il n’y a pas une minute à perdre. Mariannig Larc'hantec se lance immédiatement dans l’aventure. Après avoir écouté très attentivement toutes les versions disponibles de l’opéra du très jeune compositeur (Mozart a composé cette œuvre à l’âge de 12 ans), elle fait le lien avec « Le devin de village » opéra de J.J. Rousseau (elle bénit ses études de lettres où elle avait appris l’existence de cette œuvre).

Elle imagine une opération de présentation de l’opéra dans le style d’une bande-annonce de film. Son idée est finalement assez simple. Elle va inviter les enfants de la petite ville à appendre quelques airs marquants de l’œuvre. Ils défileront dans les rues le jour de la mi-carême, déguisés en costumes de cette époque. Ils chanteront leurs airs accompagnés par le piano installé dans la camionnette de l’ADDM.

Elle décide d’impliquer dans l’opération tous les responsables locaux d’actions culturelles qui seront volontaires. Elle propose une répartition des rôles :

  • A l’école de musique

    • Les classes d’éveil apprendront l’air de la magie (les autres enseignants ne souhaitent pas participer)

  • Au collège :

    • Le professeur d’allemand s’occupera du livret de Mozart

    • Le professeur de français s’intéressera à J.J. Rousseau

    • Le professeur de géographie et d’histoire situera le compositeur et son opéra dans le temps et dans l’histoire

    • Le professeur de musique enseignera quelques airs aux collégiens

    • C’est lui aussi qui jouera sur le piano de l’ADDM l’accompagnement des enfants pendant le défilé

    • Le professeur de sport se porte volontaire pour créer une chorégraphie sur l’ouverture

  • La batterie fanfare formera deux jeunes percussionnistes pour ouvrir la marche devant la camionnette, au son du tambour.

  • L’atelier couture de l’amicale laïque s’occupera de fabriquer les costumes des enfants.

  • Le club des Anciens se chargera du service d’ordre du défilé.

  • Le centre aéré des plus jeunes préparera une Bande Dessinée de l’argument à afficher dans la mairie pour que tous les citoyens comprennent l’histoire.

Une démarche auprès de la mairie permet d’obtenir une subvention de 300 F pour acheter le tissu pour les costumes. Il est précisé que ces costumes seront alors propriété de la mairie.

Quelques accrocs ralentissent l’organisation. Par exemple, le piano de la camionnette

rend l’âme. Il sera remplacé par une voiture munie d’une sonorisation extérieure qui diffusera la musique de Mozart : étonnant mélange des genres !

L’opération connaît un vrai succès. La radio et la télévision se mobilisent pour l’enregistrer. La ville voisine de Lannion demande à l’équipe de Perros-Guirec d’intervenir chez elle la semaine suivante.

Moins de trois mois après le début de ce travail d’équipe, on entendait chantonner du Mozart dans la rue par les petits comme par les grands. Malgré les craintes des enseignants, Mozart envahit peu à peu toutes les classes de l’école de musique.

L’ADDM devra affréter pas moins de 3 autocars pour pouvoir emmener tous les amateurs des environs.

 

Les enfants de Perros-Guirec offriront leur bande dessinée qui mesure deux mètres de long, au chef d’orchestre très ému par leur travail.

 

Myriam ROBIC

12 mars 1981

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